Moon Echo, le délai lunaire

Publié le 11 juin 2025 à 22:15

L’année dernière, la société Audiothing proposait en téléchargement gratuit un plugin original développé en collaboration avec l’artiste Hainbach : Moon Echo.


À sa sortie, j’avais brièvement expérimenté ce délai atypique, dont les résultats, pour le moins extrêmes, m’avaient amusé... sans que je trouve tout de suite une utilisation concrète dans mes productions.

C’est pourtant lors du mixage du premier morceau de mon album, Dealing with the Future, que Moon Echo m’est revenu en mémoire. Et il s’est immédiatement imposé comme une évidence : un délai désynchronisé, lo-fi, au grain unique, capable d’apporter exactement l’ambiance que je cherchais sur le moment.

 

L’origine : les rebonds Terre-Lune-Terre

Le concept de Moon Echo s’inspire d’une idée un peu folle imaginée dans les années 1940 par l’ingénieur britannique William John Bray : il avait théorisé la possibilité de faire rebondir un signal micro-ondes sur la surface de la Lune pour en capter l’écho de retour sur Terre.


Ce phénomène, aujourd’hui connu sous le nom de communication EME (Earth-Moon-Earth), fut accidentellement observé en 1943 par des chercheurs allemands, puis testé officiellement par l’armée américaine en 1946 dans le cadre du projet Diana.

Avant l’ère des satellites, ce principe offrait une solution élégante pour les communications longue distance, en contournant les perturbations atmosphériques. La Navy mit en place une liaison UHF entre Washington et Hawaï à la fin des années 1950, avant d’expérimenter le système à bord de quelques navires.

Mais avec le lancement des premiers satellites de communication dans les années 60 (comme Echo), les rebonds lunaires, avec toutes leurs contraintes et la puissance de transmission nécessaire, tombèrent rapidement en désuétude du côté des gouvernements.

 

Les radio-amateurs reprennent l’affaire

Ce sont finalement les radio-amateurs qui ont perpétué la tradition. Dès 1953, un premier test non officiel aurait été réalisé par un amateur américain. Et en 1970, un certain Ray Noughton, radio-amateur australien, réussit à obtenir un rebond lunaire avec seulement 100 watts de puissance et une antenne maison, alors que la NASA estimait la puissance minimale requise à 1000 watts.

 

Pour l’anecdote, sa performance lui valut une invitation tous frais payés aux États-Unis pour expliquer comment il avait pu réaliser cet exploit avec un émetteur aussi faible puis il rejoignit les équipes travaillant sur Australis-OSCAR 5, le premier satellite pour radio-amateurs lancé par l’Australie en janvier 1970.

Aujourd’hui encore, la communication EME reste un défi passionnant pour les radio-amateurs, car elle représente la plus longue transmission possible entre deux stations terrestres.

 

Il y a quelques semaines, lorsque j'ai fait écouter une version très brute de Dealing with the Future à Frederic Rible , sa première réaction a été : "t'as utilisé Moon Echo ?"

Frederic, par ailleurs fabricant du synthétiseur Heritage, est aussi un radio-amateur averti (F1OAT) qui a pratiqué la communication EME.

Antenne de Réception - Photo F.Rible (F1OAT)

 

Le rendu sonore typique de ces transmissions, particulièrement bien rendu par le plugin d'Audiothing, ne lui a donc pas échappé et il m’a fourni quelques images du matériel conçu avec ses amis F5BQP, F1HDI, F6ABJ et F6BIA pour des expériences EME.

Du matériel très spécifique, capable de capter un signal atténué de -270db profondément altéré par l'inévitable effet Doppler.

Transceiver Numérique - Photo F.Rible (F1OAT)

 

Moon Echo dans le DAW

Reprenant le principe du rebond, Hainbach et Audiothing ont donc conçu un plugin qui modélise de manière très convaincante la dégradation naturelle d’un signal qui fait l’aller-retour Terre-Lune (770 000 km): atténuation, effet Doppler dû au mouvement relatif, ajout de bruit et d’artefacts...

 

On retrouve bien sûr les contrôles classiques nécessaires à une intégration dans un mix : feedback, wet/dry, niveaux in/out etc.

L’interface, claire et sobre, est agrémentée d’un petit écran basse résolution affichant quelques paramètres.

 

Cerise sur le gâteau : le bouton "Ping Moon" se connecte au radio-télescope de Dwingeloo aux Pays-Bas pour obtenir une mesure en temps réel de la distance Terre-Lune, et ajuste le délai en conséquence.
Un détail qui sera apprécié à sa juste valeur par les geeks.

 

Tout est finement réglable dans Moon Echo : par exemple, si le délai lunaire est trop long pour l'usage qu'on souhaite mettre en place (environ 2,5 secondes), il est possible de "rapprocher la Lune" à l’aide du paramètre Time.

L’effet Doppler, quant à lui, offre un vrai terrain d’expérimentation : il permet de moduler la variation de hauteur du signal.

Combiné à un fort feedback, on obtient des textures lo-fi instables et organiques, pleines de caractère.

 

Par exemple, avec des paramètres très simples, on obtient un délai lo-fi assez classique.

Ici, pas de feed-back ni de Doppler, un peu de bruit et un écho de 2.656 sec.

 

 

Par contre, dès qu'on ajoute du feedback, puis du Doppler, le résultat devient très expérimental. Ici, j'ai calé un Doppler de -70 Hz et j'ai augmenté le feedback. Le son est complétement modifié à chaque écho.

Rapidement, en jouant avec le feedback et l'effet Doppler, sur des sonorités plus complexes, on obtient des effets de phasing et de dégradation inattendus.

Ici, le seul effet sur le synthé est le Moon Echo avec une légère automation cyclique sur le paramètre de Doppler.

 

 

Un outil original et polyvalent

En résumé, Moon Echo produit un son toujours lo-fi mais singulier, avec une signature très reconnaissable, surtout quand les rebonds s’accumulent avec le feedback et que le pitch se déforme à chaque passage.

Le plugin brille par ailleurs par sa simplicité d’usage, mais aussi par sa capacité à créer des effets très subtils ou, au contraire, volontairement extrêmes.

 

J’ai utilisé Moon Echo sur tous les morceaux de mon album :
– parfois de manière très marquée comme sur les voix entendues sur Dealing with the Future,
– parfois de façon quasi inaudible, comme une signature sonore discrète mais omniprésente.

 

L’album étant largement inspiré des débuts de l’ère spatiale, peuplé de sons électromagnétiques, de radios anciennes et de stations de nombres, ce plugin y a naturellement trouvé sa place, aux côtés d’un autre de mes favoris : l’incontournable Supermassive de chez Valhallha DSP. Je trouve que ces deux plugins sont parfaitement complémentaires.

 

Donc, si vous êtes à la recherche d’un délai original et inspirant, qui vous emmènera loin des sentiers battus, Moon Echo est une pépite à ne pas laisser passer.
C’est un outil créatif singulier (et gratuit) qui plaira à tous ceux qui aiment explorer des territoires sonores hors-normes.

 

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